Dans le secteur du logement et de la justice, l’expression accès à la justice est courante. Pour le public et les locataires de l’Ontario, il peut être difficile de comprendre sa signification et son importance. Il s’agit de l’un de ces concepts qui ne semblent pas pertinents dans notre vie quotidienne, jusqu’à ce qu’ils le deviennent. Un scénario courant pourrait être de recevoir un avis d’expulsion de votre locateur et de devoir assister à une audience virtuelle devant la Commission de la location immobilière (la « Commission ») pour conserver votre logement. L’accès à la justice peut tout changer.
L’accès à la justice est important pour tous les locataires, même pour ceux qui ne se rendent jamais à une audience. Après tout, comme l’a récemment souligné Ricardo Tranjan, chercheur principal au bureau ontarien du Centre canadien de politiques alternatives, « Le défi auquel sont confrontés tant de locataires aujourd’hui n’est pas de trouver un logement, mais de se permettre de garder celui qu’ils ont déjà ».
M. Tranjan souligne que les expulsions sont en hausse en Ontario et que bon nombre d’entre elles sont dues à l’avidité des locateurs. Des lois telles que l’élimination du contrôle des loyers permettent aux locateurs de facturer le montant qu’ils souhaitent aux locataires entrants. Cela les encourage à expulser leurs locataires actuels (qui sont protégés par le contrôle des loyers) pour gagner plus d’argent avec un nouveau locataire. L’étude recherche le confirme en montrant qu’en 2022, l’élimination du contrôle des loyers a entraîné une forte augmentation des loyers pour les appartements de deux chambres à coucher qui avaient changé de locateur, atteignant 26 % à Hamilton, 17 % à Ottawa et 29 % à Toronto, contre 1,2 % pour les locataires existants qui étaient protégés par les dispositions relatives au contrôle des loyers. Les expulsions qui ont lieu pour cette raison peuvent être qualifiées de rénovictions, de démovictions ou d’expulsions non fondées.
Les expulsions sont perturbantes et ont des conséquences importantes pour les locataires. Elles augmentent également la probabilité qu’un locataire devienne sans-abri. Ces expulsions ont également pour effet de retirer du marché un logement abordable pour toujours. Les expulsions ne doivent être envisagées qu’en dernier recours. Alors, pourquoi l’accès à la justice s’érode-t-il à un moment où il est plus important que jamais?
Définir l’accès à la justice et le droit au maintien dans les lieux
Définissons ces termes. L’accès à la justice est un principe de droit qui garantit à tous les citoyens et/ou résidents un accès égal au système juridique. Le droit au maintien dans les lieux est le droit légal des locataires de vivre dans leur logement sans craindre d’être expulsés arbitrairement ou illégalement. En théorie, ces deux principes existent en Ontario. Dans la pratique, l’accès à la justice pour les locataires et le droit au maintien dans les lieux sont menacés par les locateurs, Tribunaux décisionnels Ontario et le gouvernement provincial.
La triste réalité de l’écosystème juridique et du logement en Ontario est que les locateurs détiennent la majeure partie du pouvoir et que beaucoup d’entre eux se comportent comme s’ils étaient au-dessus de la loi. Certains locateurs ne prennent pas la peine de passer par les voies juridiques existantes pour obtenir ce qu’ils veulent et la plupart des expulsions se font de manière informelle. Dans son article The Right to Counsel for Tenants Facing Eviction: Security of Tenure in Canada (Le droit à l’assistance d’un avocat pour les locataires menacés d’expulsion : Le droit de maintien dans les lieux au Canada), Sarah Buhler souligne que : « les expulsions informelles et formelles sont liées : lorsque le pouvoir des locateurs n’est pas contrôlé dans le système formel, les locataires sont plus susceptibles d’être vulnérables aux expulsions informelles et illégales » [traduction].
Qu’en est-il des cas d’expulsion formelle qui parviennent à la Commission? Les droits des locataires sont traités comme une nuisance, si tant est qu’ils soient pris en compte. L’année dernière, l’Ombudsman de l’Ontario a enquêté sur le travail de la Commission et a constaté que les requêtes des locataires attendaient jusqu’à deux ans pour une audience, contre six à neuf mois pour les requêtes des locateurs. Tribunaux décisionnels Ontario, l’organisme-cadre responsable de la Commission, a expliqué que les requêtes des locataires n’étaient pas traitées rapidement parce qu’elles sont plus complexes que celles des locateurs. L’Ombudsman a estimé que le traitement des locataires par la Commission et l’organisme Tribunaux décisionnels Ontario était « déraisonnable ».
Le rôle de l’accès à la justice
Non seulement les locateurs ont un pouvoir sur leurs locataires en raison de la nature de leur relation, mais ils disposent souvent de plus d’argent et peuvent facilement se faire représenter par un avocat. Notre propre recherche a révélé que dans le cadre d’une analyse des audiences numériques près de 80 % des locateurs étaient représentés par un avocat, alors que seulement 31,5 % des locataires avaient reçu des conseils juridiques ou étaient représentés par un avocat. Le système est déjà truqué contre les locataires, mais la balance penche davantage en leur défaveur si leur locateur est représenté par un avocat alors qu’ils ne le sont pas.
Cette dynamique a été aggravée par ce que nous appelons le « fossé numérique ». Le Fossé numérique est la différence frappante entre l’accès du locateur et du locataire à la technologie appropriée et nécessaire, au WI-FI et au savoir-faire pour assister et participer efficacement à une audience virtuelle. Pour les locataires, en particulier ceux qui tentent de participer à une audience virtuelle chaotique, recevoir des conseils juridiques ou être représenté par un avocat peut être la bouée de sauvetage qui les empêchera d’être expulsés.
Une façon d’y penser est d’imaginer que vous voyagez dans un pays dont vous ne parlez pas la langue. Vous avez rendez-vous avec un ami pour dîner au restaurant, mais il est en retard. Vous vous efforcez de demander une table et de commander vos rafraîchissements et vos hors-d’œuvre pendant que vous attendez. Le problème, c’est que vous souffrez également d’une grave allergie aux fruits à coque. Vous vous énervez en essayant de faire comprendre la gravité de votre allergie avant de passer la commande. Vous ennuyez visiblement le personnel de service. Alors que vous êtes sur le point de paniquer et de partir, votre ami (qui parle la langue) arrive. Immédiatement, votre ami est en mesure de communiquer efficacement avec le personnel pour l’informer de votre allergie et déterminer les plats que vous pouvez commander. Les rafraîchissements et la nourriture sont en route. Vous pouvez profiter en toute sécurité de votre souper avec votre ami. Quel soulagement!
C’est un peu ce que l’accès à la justice peut faire pour un locataire, mais les enjeux sont bien plus importants qu’une commande au restaurant. Mme Buhler a constaté que les juristes et parajuristes peuvent traduire un jargon juridique difficile à comprendre et soutenir les locataires sur le plan moral, émotionnel et logistique. Ils peuvent relayer les renseignements pertinents au nom des locataires d’une manière qui soit percutante pour les arbitres. Ils peuvent également dissuader les locateurs de présenter des demandes sans fondement et s’opposer aux représentants des locateurs qui tentent d’intimider les locataires pour qu’ils acceptent leurs conditions. Un accès significatif et concret à la justice peut permettre aux locataires de voir leur droit de maintien dans les lieux (leur droit d’être à l’abri des expulsions arbitraires) protégé.
Pourquoi l’accès à la justice est-il menacé?
De nombreux locataires n’ont pas les moyens de se faire représenter par un avocat. Certains locataires peuvent bénéficier d’une représentation juridique gratuite de la part de l’organisme juridique de leur collectivité. Cependant, les seuils de revenus pour en bénéficier sont bas et la plupart des locataires de la province ne sont pas admissibles. C’est pour ces locataires que le Centre coordonne le Programme d’avocats de service en droit du logement (PASDL). Il permet aux locataires qui ont une audience prévue devant la Commission de s’inscrire pour recevoir des conseils juridiques gratuits et confidentiels de la part d’un professionnel du droit qui ne travaille pas pour la Commission.
Toutefois, étant donné le nombre d’affaires traitées par la Commission, il n’est pas toujours possible pour chaque locataire de bénéficier de conseils juridiques. D’autres choisissent de ne pas le faire. Même ceux qui y parviennent doivent encore affronter leur locateur et son représentant pour convaincre l’arbitre de leur point de vue. De nombreux locataires agissent de la sorte, car ils ont du mal à maîtriser la technologie et ne sont pas visibles sur Zoom, alors que le locateur et son représentant apparaissent par vidéo. Il s’agit d’un système contradictoire dans lequel la partie la plus convaincante l’emporte. Pour toutes ces raisons, la Commission a été régulièrement qualifiée de « machine à expulser ».
Compte tenu de l’état déplorable du secteur du logement en Ontario et de la façon dont les locateurs contournent ouvertement la loi, on pourrait penser que les politiciens et les législateurs feraient tout ce qui est en leur pouvoir pour protéger les locataires et faire respecter leurs droits juridiques. Qu’ils élargiraient l’accès à la justice aussi rapidement que possible afin d’empêcher l’avalanche d’expulsions. Ils ont fait le contraire. En 2018, le gouvernement nouvellement élu a réduit le financement d’Aide juridique Ontario (et par extension, des organismes juridiques communautaires et spécialisés comme le Centre) de plus de 100 millions de dollars. Cette décision a contraint les organismes à réduire leurs services et l’aide qu’ils apportent, à un moment où les locataires en ont un criant besoin. Six ans plus tard, ce financement n’a toujours pas été rétabli.
La situation n’a fait que s’aggraver. La province a affaibli les protections des locataires en créant un autre moyen pour les locateurs de les expulser au moyen du désastreux projet de loi 184. Ils ont également fait mis en place un portail en ligne et un système uniquement numérique qui empêche les locataires de participer. L’accumulation de cas à régler et les dysfonctionnements de la Commission ralentissent la résolution des requêtes, laissant ainsi les locataires dans l’incertitude pendant des mois. Même lorsqu’ils ont augmenté les amendes et les conséquences pour les locateurs qui enfreignent la loi, ces amendes et ces lois sont rarement appliquées, ce qui les rend inutiles.
La seule conclusion que l’on puisse tirer est que les locataires sont un élément secondaire de notre système juridique et que leur accès à la justice n’a que peu d’importance, en particulier lorsqu’il s’agit de prévenir les expulsions. En Ontario, les locateurs considèrent les expulsions comme un moyen de s’enrichir rapidement et la province les laisse s’en tirer à bon compte. La relative facilité avec laquelle les locateurs peuvent expulser leurs locataires constitue une raillerie au système de justice. Nous devrions tous avoir honte.