La Loi de 2024 visant à réduire les formalités administratives et à favoriser l’essor de l’Ontario cause plus de problèmes qu’elle n’en règle à la Commission de la location immobilière

Le projet de loi 227, la Loi de 2024 visant à réduire les formalités administratives et à favoriser l’essor de l’Ontario a été présenté le 20 novembre 2024. Il s’agit du projet de loi omnibus dont le gouvernement ontarien a accéléré la mise en œuvre à Queen’s Park cette semaine. La loi contient plusieurs changements dont les locataires devraient se préoccuper. Le gouvernement affirme que ce projet de loi permettra de reprendre le retard accumulé par la Commission de la location immobilière (CLI). Toutefois, un examen plus approfondi suggère plutôt que ces mesures affaibliront les mesures de protection des locataires sans améliorer significativement les activités de la CLI.

Envoi d’ordonnances de la CLI aux agences d’évaluation du crédit

Un document d’information indique que la province contemple l’idée de fournir aux agences d’évaluation du crédit les ordonnances rendues par la CLI à des locataires qui ont des « antécédents » de retard de paiement de loyer. Cette proposition se fonde sur le mythe voulant que tous les locataires qui ne paient pas leur loyer soient intentionnellement des fraudeurs. Elle omet de reconnaître que les difficultés personnelles, l’inconduite du locateur ou les processus de la CLI peuvent créer des situations qui font qu’un locataire prend du retard sur le paiement de son loyer (voir les exemples ci-dessous).

En transmettant uniquement ces ordonnances et non celles rendues aux locateurs qui doivent de l’argent aux locataires, la province donne la priorité aux difficultés des locateurs plutôt qu’à celles des locataires. Ainsi, elle fait fi de la montée des expulsions de mauvaise foi et des nombreuses années où des locateurs ont interdit l’accès des locataires à leur logement. Ces infractions sont devenues si fréquentes que les municipalités ont dû instaurer des règlements administratifs pour enrayer ces actes illégaux commis par les locateurs.

Si les détails ne sont pas confirmés, il est incertain à savoir si la CLI pourra gérer cette responsabilité supplémentaire. Comment la CLI ou la province définiront-elles les « antécédents de retard de paiement »? Est-ce qu’ils représentent le nombre de paiements en retard dans une location ou le nombre d’ordonnances rendues pour un retard de paiement? Est-ce qu’ils s’appliquent à une période déterminée? Prendront-ils en compte les circonstances particulières affectant le ménage du locataire ou sa capacité à se présenter à l’audience?

Un autre point préoccupant : à quel moment dans le processus d’arbitrage l’ordonnance serait-elle transmise à l’agence d’évaluation du crédit? Souvent, après l’émission d’une ordonnance pour retard de paiement, un locataire parvient à obtenir les fonds nécessaires pour annuler l’ordonnance ou la faire infirmer dans une audience de réexamen et/ou d’appel auprès d’une cour divisionnaire. Cette proposition respectera-t-elle les droits des locataires de conserver leur location après l’émission d’une ordonnance?

Si dans le passé un locataire a eu du mal à payer son loyer, cela ne signifie pas automatiquement qu’il sera incapable de payer son loyer à un nouveau locateur. De nombreuses raisons peuvent expliquer pourquoi un locataire a pris du retard dans ses paiements de loyer dans le passé. Certaines situations, comme un problème de santé, une perte d’emploi ou un mauvais colocataire, peuvent être en cause. Quoi qu’il en soit, une fois ces situations réglées, ces locataires sont fiables dans la plupart des cas et paient leur loyer à temps.

Il existe aussi plusieurs situations où une ordonnance d’expulsion n’est pas représentative de la capacité du locataire à payer son loyer, notamment :

  • Lorsqu’un locataire rembourse tout l’argent qu’il doit après avoir reçu l’ordonnance d’expulsion. Il conserve alors sa location, mais l’ordonnance peut avoir déjà été transmise à une agence d’évaluation du crédit.
  • Dans un cas de violence conjugale, une survivante ou un survivant peut se voir expulser et voir sa cote de crédit affectée si la personne violente ne paie pas le loyer.
  • Les locataires qui vivent dans un logement qu’ils ont occupé pour la première fois après le 15 novembre 2018 risquent d’être expulsés pour des raisons économiques si le locateur augmente leur loyer (bien au-delà de ceux du marché) en sachant que les locataires ne peuvent pas se le permettre. Dans ce cas, l’ordonnance d’expulsion n’est pas représentative de la capacité du locataire à payer le loyer légal. 
  • Souvent, la CLI ne permet pas à un locataire de présenter ses problèmes (p. ex., réparations à faire) à l’audience sur son expulsion, même s’il détient ce droit en vertu de la Loi de 2006 sur la location à usage d’habitation. Si les locataires pouvaient exercer ce droit, ils pourraient contrebalancer tout montant de loyer dû au locateur avec des réductions qui leur seraient dues en raison du défaut du locateur de remplir ses obligations légales. Les locataires doivent plutôt attendre une deuxième audience pour présenter ces problèmes.  
  • Les locataires font face à des loyers exorbitants en raison de l’absence de contrôle total des loyers. En 2022, les loyers ont doublé en Ontario; les loyers demandés pour un logement de deux chambres à coucher ont subi une augmentation de 26 % à Hamilton, de 17 % à Ottawa et de 29 % à Toronto. Bien entendu, les revenus des locataires n’ont pas augmenté autant d’année en année. Le projet de loi 227 ne fera qu’aggraver les difficultés de nombreux locataires ontariens qui se démènent pour survivre à la crise du logement abordable qui sévit dans la province.

Le Centre craint que la province n’ait pas pleinement mesuré les répercussions sociales d’une mauvaise cote de crédit sur le ménage des locataires, surtout ceux qui tentent de se remettre sur pied. Cette proposition pourrait compromettre la capacité d’un locataire à louer un nouveau logement, à obtenir un prêt ou encore une hypothèque pour acheter sa première maison. Les difficultés qu’une personne a pu vivre dans le passé ne devraient pas l’empêcher de réaliser son potentiel.

Modifications à la Loi sur l’exercice des compétences légales pour améliorer l’expertise et la fidélisation des arbitres

Le rapport de l’Ombudsman sur la CLI cible des problèmes par rapport à la formation et à l’expertise des arbitres, ralentissant ainsi la planification et la réalisation des audiences et prolongeant considérablement le délai pour que les décisions soient rendues. Ces délais sont exacerbés par l’important taux de roulement des arbitres à la CLI. De nombreux arbitres quittent leur emploi sans rendre de décision finale pour des audiences qu’ils ont présidées pendant des mois (voire des années) auparavant. Dans ces cas, la CLI avise habituellement les parties qu’un nouvel arbitre sera nommé et qu’une nouvelle audience est planifiée pour que les parties plaident une nouvelle fois leur cause. Cela peut entraîner des coûts supplémentaires pour les deux parties et retarder d’autant plus la résolution du litige.

L’annexe 25 du projet de loi 227 propose que si un arbitre quitte son poste avant d’avoir terminé une audience et rendu sa décision, la CLI puisse nommer un nouvel arbitre pour le remplacer et terminer l’audience en se fondant sur le dossier déjà établi, au lieu de tenir une nouvelle audience.

Le pouvoir discrétionnaire de la CLI quant à la décision de tenir une nouvelle audience ou de nommer un nouvel arbitre pour reprendre l’ancienne audience doit être assorti de garanties. La CLI doit informer les parties du départ de l’arbitre qui présidait initialement l’audience et leur expliquer : pourquoi l’audience ne peut être poursuivie, pourquoi la tenue d’une nouvelle audience ou la nomination d’un nouvel arbitre constituent la meilleure approche pour cette affaire étant donné que les preuves ont déjà été présentées, les problèmes qui sont présentés et les répercussions que cette décision aura sur les parties. La CLI doit aussi permettre aux parties de donner leur avis sur la procédure choisie et de s’exprimer s’ils trouvent cette procédure inéquitable.

Modification de l’article 212 proposant de rendre les dispositions obligatoires de la Loi discrétionnaires

Le projet de loi 227 propose que toute erreur dans le contenu d’un formulaire, d’un avis ou d’un document soit considérée comme conforme aux exigences de la CLI, pour autant qu’elle ne « porte pas un préjudice important à la capacité d’une partie de prendre part à une procédure ».

Le Centre craint que cette proposition bafoue les protections et les droits établis des locataires et sabre la priorité accordée à la protection des locataires dans la Loi de 2006 sur la location à usage d’habitation. Par exemple, la Loi comporte une exigence obligatoire qui oblige le locateur à remettre au locataire un formulaire N4 (Avis de résiliation de la location pour non-paiement du loyer) qui précise la date de résiliation de 14 jours après la réception de l’avis. La période de préavis de 14 jours est une protection importante qui permet aux locataires de régler la question avant la date de résiliation.

À l’heure actuelle, s’il y avait une erreur dans le calcul de la date de résiliation, la CLI ne pourrait pas tenir d’audience sur l’expulsion du locataire. En vertu de cette proposition de modification, la CLI serait autorisée à tenir l’audience sur l’expulsion même si l’avis comportait une erreur dans la date de résiliation prétendant ne pas porter « préjudice » au locataire quant à sa participation à l’audience. Si les garanties prévues aux formulaires ne sont pas respectées, les expulsions de mauvaise foi pourraient être en hausse. Cette proposition est la preuve que la province privilégie la rapidité au détriment de l’équité, chose que les tribunaux d’instance supérieure ont toujours voulu éviter. De plus, elle exacerbe l’incertitude des parties qui ne peuvent être assurées que la CLI applique correctement les règles de la Loi de 2006 sur la location à usage d’habitation à leur cause.

Au lieu d’autoriser la CLI à faire fi de la Loi, la province devrait envisager un retour aux services en personne fournis par les six centres régionaux de la CLI (à Sudbury, London, Hamilton, Toronto, Mississauga et Ottawa). Ces centres de services permettaient aux demandeurs de déposer leurs documents et les faire examiner et corriger, le cas échéant, avant que leur audience soit planifiée. Les centres pourraient fournir des renseignements précieux sur les documents importants à soumettre par les parties. Ils permettraient aussi d’éliminer les obstacles numériques auxquels sont confrontés les participants lorsqu’ils sollicitent les services de la CLI par le portail en ligne, seul moyen d’y accéder à l’heure actuelle.

Les modifications prévues par le projet de loi 227 ne sont pas les solutions souhaitées par les locateurs et les locataires. Par contre, elles diminueront certainement les protections des locataires, ce qui augmentera le risque d’itinérance d’un nombre accru d’Ontariens et d’Ontariennes, en plus d’augmenter le rythme auquel les logements abordables disparaissent.

Solutions pour la Commission de la location immobilière

La meilleure façon de contrer les problèmes que le projet de loi 277 cherche à résoudre est de reprendre les audiences en personne, de rétablir la planification régionale des audiences et de rouvrir les centres régionaux de la CLI.

Avant 2020, la CLI parvenait à gérer le même nombre de cas qu’elle gère actuellement avec le tiers du nombre d’arbitres dont elle dispose aujourd’hui, sans éliminer les protections des locataires. À cette époque, les délais d’attente de la CLI étaient inférieurs à deux mois pour les locateurs et les locataires. Cela s’explique en partie par le fait qu’il y avait alors des médiateurs à chaque bloc d’audiences qui pouvaient résoudre l’affaire de manière proactive avant l’audience (contrairement à aujourd’hui, où les médiateurs de la CLI sont moins disponibles).

Aucune raison n’empêche la CLI de revenir aux processus qui fonctionnaient avant. Ces solutions sont également appuyées par des spécialistes des tribunaux tels que Tribunal Watch Ontario; par des municipalités, notamment Toronto, Hamilton et Chatham-Kent; par des locateurs, notamment les Propriétaires de petites propriétés de l’Ontario; par des gestionnaires et agents immobiliers du Toronto Regional Real Estate Board et par des professionnels de la santé. Si la population ontarienne s’entend déjà sur les solutions à apporter aux problèmes de la Commission de la location immobilière, pourquoi la province fait-elle la sourde oreille?