image with blue writing and a yellow circle with a loudspeaker.

La Commission de la location immobilière est déréglée et le passage au numérique n’a rien arrangé; l’heure n’est plus à l’expérimentation.

La Commission de la location immobilière (CLI) continue de connaître des retards et une accumulation constante de cas à régler. Locataires, locateurs et leurs représentants : tous ont exprimé leur frustration croissante face au fonctionnement actuel du tribunal. Ces frustrations ont incité la province à annoncer l’octroi d’un financement supplémentaire de 4 millions de dollars à la CLI au cours des trois prochaines années. Toutefois, l’argent ne suffira pas à surmonter les obstacles auxquels sont confrontés les locataires à faible revenu lors d’audiences en ligne.

Lorsque la CLI a décidé de passer définitivement des audiences en personne aux audiences en ligne au milieu de la pandémie, elle a assuré au public que le processus numérique serait plus efficace et que le passage au numérique répondrait efficacement aux besoins des locataires et des locateurs, tout en améliorant leur accès à la justice.

Le passage au numérique s’est avéré un échec.

Après deux ans d’expérimentation avec le numérique, il est clair que la déclaration de la CLI ne s’est pas réalisée, bien au contraire. Les audiences en ligne à la CLI ont non seulement réduit l’accès des Ontariens et des Ontariennes à la justice et creusé davantage le fossé numérique, mais des données récentes montrent que le passage au numérique est encore moins efficace que les audiences en personne.

À l’automne 2021, le nombre total de cas traités par la CLI a diminué de 28 % par rapport au nombre de cas traités lors d’audiences en personne durant la même période en 2019. En outre, la CLI s’efforce de planifier une audience dans les 25 jours ouvrables suivant le dépôt d’une demande. Pourtant, même les rapports annuels de la CLI indiquent que le temps écoulé entre le dépôt de la demande et la planification d’une audience s’est considérablement accru d’année en année.

Décortiquons tout cela. En 2017-2018, la CLI a réussi à atteindre son objectif pour 54 % des demandes reçues. Ce pourcentage n’a cessé de diminuer chaque année depuis. En effet, la CLI a réussi à planifier une audience dans les 25 jours suivant la réception de 34 % des demandes en 2018-2019, 15 % en 2019-2020 et un maigre 1 % en 2020-2021.

En 2020-2021, la CLI a atteint son objectif de planifier une audience dans les 25 jours ouvrables suivant la réception de la demande pour seulement 1 % des cas.

Le passage au numérique a simplement jeté de l’huile sur le feu en ce qui a trait aux problèmes structurels déjà présents.

Effectivement, la CLI était aux prises avec d’importants problèmes structurels bien avant de passer définitivement au numérique. Depuis les quelques dernières années, bon nombre des nouveaux arbitres engagés à la CLI ne travaillent qu’à temps partiel et sont souvent nommés conjointement à d’autres tribunaux. En 2017-2018, la CLI comptait 55 arbitres à temps plein et seulement 11 à temps partiel. En date de mars 2022, la CLI comptait seulement 39 arbitres à temps plein et 49 à temps partiel, ce qui diluait leur expertise et réduisait la qualité de la prise de décision.

Un autre point problématique : les blocs d’audiences sont maintenant planifiés par type de demande et ne sont plus tenus à l’échelle régionale. La planification régionale réduisait les retards et encourageait les arbitres à se familiariser avec les soutiens régionaux offerts aux locataires, qui pouvaient les aider à éviter l’expulsion. La planification régionale permettait aussi aux avocats de service en droit du logement et aux services juridiques de mieux servir les locataires cherchant à obtenir des conseils juridiques avant leur audience.

Opter plutôt pour une planification par type de demande pose trois problèmes. D’abord, les arbitres n’ont plus l’occasion de voir un vaste éventail de types de demandes et se spécialisent uniquement dans l’arbitrage d’un sous-ensemble réduit de demandes. Ensuite, le contexte local est complètement exclu du processus. Enfin, les questions des locataires pouvant s’appliquer aux cas qu’ils arbitrent ne sont plus présentées dans une même audience. Les audiences liées à une même location sont plutôt parfois prévues à un an d’intervalle. Interdire aux locataires de soulever des questions pertinentes lors de l’audience demandée par le locateur les prive de la possibilité de présenter une défense étayée ou d’obtenir des recours qui pourraient les aider à préserver leur logement.

Quelle incidence cette situation a-t-elle sur l’accès à la justice?

Le passage au numérique a non seulement ralenti le traitement des cas par la CLI, mais il a également occasionné de piètres résultats pour les locataires et entravé leur accès à la justice. Le passage aux audiences numériques s’effectue à un moment où les logements abordables sont déjà rares et où les expulsions sont à la hausse. S’ils sont expulsés, les locataires éprouvent de réelles difficultés à trouver un nouveau logement au sein de leur collectivité.

La Commission de la location immobilière est déréglée Ce n’est pas en lui balançant de l’argent pour qu’elle embauche un plus grand nombre d’arbitres que la situation s’améliorera. Un certain nombre d’interventions devraient plutôt être mises en œuvre, notamment :

  1. Reprendre immédiatement les audiences en personne de même que les formats d’audiences à distance, surtout pour les locataires qui ont besoin d’accommodements, pour les cas complexes comportant beaucoup d’éléments de preuve, ou lorsque la crédibilité des parties ou des témoins est en jeu.
  2. Rétablir la planification des audiences à l’échelle régionale.
  3. Offrir un plus grand soutien aux locataires qui n’ont pas la technologie nécessaire pour participer efficacement, y compris mieux former les arbitres afin qu’ils puissent réagir lorsqu’un locataire éprouve des difficultés.
  4. Créer des canaux par lesquels les locataires peuvent communiquer avec la CLI et obtenir de l’aide, par exemple une ligne téléphonique d’urgence dotée d’un personnel complet pour offrir une aide immédiate aux locataires qui rencontrent des difficultés techniques dans une audience en cours, et offrir un service de guichet en personne pour accepter des éléments de preuve et appuyer les parties qui s’autoreprésentent.
  5. Embaucher une équipe d’anciens arbitres expérimentés pour s’attaquer aux cas accumulés.

Ces améliorations structurelles ne doivent pas être implantées au détriment des protections existantes des locataires, lesquelles sont déjà inadéquates. La CLI doit mieux équilibrer les besoins des locateurs et des locataires pour éviter d’être perçue comme une machine à expulsion. Par conséquent, il incombe à la CLI de remédier au fait que le passage au numérique est inefficace et dommageable pour les locataires.

L’Ontario est devenu une province où il est plus facile d’obtenir l’aide médicale à mourir que de trouver un logement sécuritaire et abordable. Il s’agit là d’un échec honteux. Il devrait être absolument prioritaire pour chacun de veiller à ce que tous puissent se loger à un prix abordable. Un premier pas consisterait à mettre un terme à l’expérimentation de la Commission de la location immobilière avec les procédures exclusivement numériques.